Marianna Gelussi
Le labyrinthe de Maria Stamenković Herranz

"J'avais
ce désir ardent
pour que le protocole
devienne sa propre entité,
soit son propre animal,
et laisse les gens
se regarder
à travers moi
et non vers moi."

Maria Stamenković Herranz1


Pendant quatre semaines d'une routine planifiée, composée de gestes mesurés et précis, ponctuée par la pose de briques, côte à côte puis empilées, humidifiées, prête à se consolider, six jours par semaine, huit heures par jour, avec les yeux bandés et les mains comme seuls guides, sans boire ni manger, Maria Stamenković Herranz construit sa propre "mortal house"2. Comme une araignée tissant sa toile, l'artiste élève des murs autour d'elle, spirale après spirale, contenant son "monde"3, le labyrinthe-maison qui l'enveloppera, la cachant de la vue du public, émergeant finalement comme une œuvre autonome.

Pendant quatre semaines, le public du musée s'arrête pour observer ou passe rapidement. Témoins de la fatigue de l'artiste et des fluctuations de son humeur, ils restent silencieux ou interagissent avec elle, et elle, à son tour, avec des sens aiguisés dus à l'incapacité de voir et à la transcendance de l'effort, perçoit leur présence, leur odeur et leurs sons.

Jour après jour, semaine après semaine, la performance poursuit son voyage cathartique le long de la spirale du temps circulaire, de la routine et des gestes répétés, la ligne des murs entourant progressivement l'artiste et la séparant de l'extérieur. Le chemin des murs, tracé sur celui légendaire de Dédale, ouvre à son tour une nouvelle spirale temporelle qui projette la performance dans la dimension symbolique, suspendue du mythe.

Un espace physique et métaphorique aux mille bifurcations, lieu de captivité du Minotaure, de l'évasion de Thésée et du fil d'Ariane, d'Icare, qui, volant trop près du soleil avec des ailes fabriquées par son père Dédale, tombe : le labyrinthe garde la marginalité monstrueuse, c'est un lieu d'emprisonnement, de perte, d'élévation spirituelle et intellectuelle, une célébration de l'ingéniosité et de la créativité, d'autotranscendance, et un avertissement contre le danger de la curiosité excessive, comme le montre tragiquement la chute d'Icare. La spirale, le labyrinthe représentent la complexité, le radicalisme et l'infini des possibilités contre la rationalité simpliste de la ligne droite. Maria Stamenković Herranz assume l'intense héritage de la tradition, suivant les traces des artistes d'avant-garde qui ont beaucoup puisé dans cette imagerie, entrelaçant sa propre histoire avec celle du mythe, et son pouvoir symbolique résonne dans la performance : choisissant cependant de placer son propre corps, en tant que femme, au centre du labyrinthe, elle suscite un changement qui inverse le récit. Comme Cléopâtre de Shakespeare, l'artiste entend "prendre pleinement en charge sa liberté"4, construire sa propre "mortal house", prête à la détruire plutôt que d'être prisonnière.

Au centre du labyrinthe, le corps de l'artiste est un instrument vivant et actif. Ses mains en contact avec la terre construisent, servent d'yeux, inscrivent des messages dans l'argile humide. Alerte, son corps est un sismographe très sensible qui perçoit les spectateurs, ressent leur présence, un diapason en relation avec eux, tirant sa force d'eux. Comme elle le raconte dans son journal, lorsque la fatigue saisit ses muscles, la mémoire du passé est également réactivée à travers le corps : la douleur reconnecte l'artiste avec les souvenirs de ses grand-mères, leurs dos courbés de paysannes, dans une réalisation circulaire inattendue de l'expérience et de l'existence5. Au centre du labyrinthe, l'artiste et son corps sont l'appareil générateur, l'antenne qui capte, retransmet et connecte. Les yeux bandés, les yeux couverts, Maria Stamenković Herranz se présente au public mais se retire dans le labyrinthe à mesure que sa construction progresse : tout comme elle considère son corps comme un instrument, elle veut qu'il le soit aux yeux du public, qu'il disparaisse, qu'il devienne un miroir pour qu'ils "se regardent à travers moi et non vers moi"6.

Au fil des semaines, le labyrinthe prend forme et aquiert une autonomie en tant qu'objet, prenant le pas sur le corps, l'entourant et l'accueillant mais pas comme la prison du mythe. Au lieu de cela, ses murs renferment un ventre protecteur, un lieu de liberté où l'enfermement est sécurité, et la solitude n'est pas un fardeau mais le bonheur.
À la fin des quatre semaines, comme le stipule le protocole, le labyrinthe est terminé. Maria Stamenković Herranz invite le public à l'intérieur, partageant ainsi une partie d'elle-même avec sa création. Elle encourage la participation, exige un acte de responsabilité et de liberté de la part du spectateur actif, confirmant que la performance est en effet une transformation cathartique pour l'artiste mais repose fermement sur la relation entre les deux parties, une expérience d'émancipation mutuelle.

Enfin, exécutant une décision qui s'est cristallisée au cours des semaines précédentes, l'artiste démolit le labyrinthe et détruit sa création. Un acte extrême de liberté qui clôt le cercle, le geste de Maria Stamenković Herranz laisse derrière lui une image de ruines qui reflète l'absurdité de l'existence, la futilité de l'effort et de l'action, et résonne une fois de plus avec le mythe, le destin de Sisyphe, condamné à pousser un rocher en haut de la pente d'une montagne et à recommencer pour l'éternité. Vu dans la perspective de la spirale, le geste s'inscrit dans le cycle naturel de la création et de la destruction, composé de fins continues et de nouveaux départs éternels.

Alors, que reste-t-il de la performance, l'incarnation de l'expression artistique éphémère, au-delà d'un tas de décombres ? Ce qui reste, ce sont l'expérience, la mémoire, les photographies, un témoignage visuel, et l'urgence de collecter et de préserver ce matériau vivant, possible à réactiver. Ce qui reste, ce sont les pensées de l'artiste, écrites chaque jour pendant quatre semaines.

Cette publication répond à cette question, transmet l'expérience, sa mémoire et la possibilité de nouveaux départs. Les mots et les images s'entrelacent dans ce journal-livre non linéaire, lui-même un labyrinthe aux multiples chemins, laissant au lecteur le chemin illuminé que révèle le journal de l'artiste, comme le fil d'Ariane guidant Thésée.


1. Maria Stamenković Herranz dans AnOther Magazine [anothermag.com], "Marina Abramović met en avant les artistes de la performance du futur", 15 octobre 2021.
2. William Shakespeare, Antoine et Cléopâtre, Acte 5, cité ici à la page 4 / III.
3. Anaïs Nin, citée ici, "Jour 19", page XIV.
4. Maria Stamenković Herranz, citée ici à la page 4 / III.
5. Maria Stamenković Herranz, citée ici, "Jour 6", page IV.
6. Maria Stamenković Herranz, voir note 1.